Article #3 sur les objectifs   partie 3  le rendu

Par François Gauthier (La Prairie)

Les objectifs partie 3  le rendu


Jusqu'à maintenant , on les a surtout définis par ce qu'ils peuvent faire. Il est temps de scruter avec quelle touche "personnelle" ils le font . On entre donc dans des aspects souvent plus subtils, mais qui peuvent avoir une grande importance pour certains d'entre nous. 

Le rendu est pris ici dans son sens large : ce qui différencie des objectifs similaires au niveau de l'image et de l'impression qu' ils nous laissent. 

A -  La plage d'utilisation

Commençons par le plus évident et trop souvent le seul critère : la netteté . Est-ce que c'est 'sharp' ? C'est non seulement évaluable mais aussi mesurable. Bien sûr, son niveau acceptable va varier selon chacun. 

Une parenthèse : à l'époque du film, on y référait comme 'pouvoir séparateur' mesurable en paire de lignes au millimètre, le summum étant aux environs de 100. Appliquer le même principe au numérique serait discutable mais correspondrait en densité à un capteur aps-c de 16mp .    

Avec le modèle d'objectif mais aussi l'exemplaire la netteté va varier selon l'ouverture , surtout sur les bords de l'image . Dans certains cas , ce ne sera acceptable qu'à un réglage précis . C'est ce que j'appellerai une faible plage d'utilisation . 

Dans d'autres , la netteté sera bonne à bien des F stop pour se qualifier alors en termes de grande plage d'utilisation. Voyons un exemple par une étude de cas des Nikon 50mm f1.8D et 24mm f2.8D pour réflex plein format. 

Cette 50mm offre une grande netteté. Bien que le summum soit atteint à F5.6 , les bords sont excellents de F2.8 à F11 sur un capteur de 24mp  . On peut donc choisir en fonction du contexte en privilégiant F5.6 si ça n'a pas d'importance. 

Par contre, cette 24mm offre une netteté sur les bords remarquable à F8 seulement bien que ce soit passable à F5.6 et F11 . Mieux vaut s'y limiter à F8 ou elle concurrence alors du verre beaucoup plus cher. 

Il faut remarquer aussi l'utilité de ces résultats : on peut isoler le sujet avec la 50 mm à F2.8 tandis qu'on préfère généralement une grande profondeur de champ pour du paysage avec la 24mm . Si elle n'était utilisable qu'à F4 , elle serait plus spécialisée. 

En général, il ne faut pas juger un objectif par son ouverture maximale mais par celles qui nous sont acceptables et par conséquent utiles

C'est le plus souvent une question de design . Utiliser une normale 50mm F1.4 des années 70 à pleine ouverture sera généralement très décevant mais à partir de F2.8, la plupart s'en sortent bien. 

De la même manière , même des zoom de base comme ceux des kit ou encore les modèles à focales très étendues deviennent pratiquement des ouvertures fixes en les testant. C'est certainement une limite mais pas nécessairement un problème .

B - Le bokeh

Le bokeh peut être défini comme étant la qualité subjective des zones de flou hors foyer . Il y a 2 aspects : leur apparence plus ou moins 'crémeuse' et aussi comment les lumières spéculaires se manifestent. On parle d'un cercle mieux défini par un plus grand nombre de lames , s'il y a une luminosité sur le contour ou “des rangs d'oignons” à l'intérieur, etc. 

Bref, il y a des façons objectives de l'évaluer mais c'est l'appréciation personnelle qui prime. De plus, il ne faut pas confondre qualité et quantité. Ce n'est pas parce qu'un objectif a une grande ouverture que c'est un 'objectif à bokeh'.

Comme pour la netteté, on peut aussi déterminer une plage d'utilisation de par l'apparence de la zone de flou. 

C'est en combinant les différents aspects que l'on peut déterminer l'ouverture optimale . Dans certains cas , ce n'est que là que la 'magie' va opérer pour les meilleures optiques... 

C - La tonalité

Puisque le terme 'magie' est maintenant lancé , allons un peu plus loin. Certains vont mentionner que certains verres donnent une impression 3D aux images. On parle aussi de 'pop' , de haute fidélité ou surtout de micro contraste . Je préfère désigner le phénomène comme étant un rendu exceptionnel de la gradation des tons. 

C'est en fait quelque chose de controversé . Cette subtilité n'est pas vraiment largement acceptée comme étant dépendante des objectifs . Les démonstrations avec exemple sur le net ne sont pas convaincantes : on ne perçoit que rarement la différence. La question est donc : y croit-on ?

Pour ma part, c'est quelque chose à laquelle j'adhère pour l'avoir remarqué ces dernières années . Toutefois je peux affirmer que ça n'apparaît jamais la plupart du temps, rarement dans quelques cas et que les objectifs pour lesquels on peut dire que c'est une caractéristique sont rares . 

On l'attribue le plus souvent à des focales fixes de marque Zeiss, Voigtlander ou Leica . On mentionne aussi un design avec relativement peu d'éléments mais ce n'est pas un critère suffisant. 

Quoi qu'il en soit, c'est une quête perfectionniste que l'on peut se permettre d'ignorer... ou pas. 

D - La personnalité 

Au risque de nager dans les subtilités, j'en rajoute . Certains ne sont pas satisfaits du rendu neutre des objectifs modernes . Ils le qualifient de 'clinique' ou même 'stérile'. En fait, ils le trouvent trop parfait pour être intéressant. 

Ceci m'amène à distinguer 3 catégories de bons objectifs auxquels s'ajoutent les banals et les mauvais. 

D'abord, les neutres qui privilégient l'excellence technique surtout au niveau de la netteté allant jusqu'aux grandes ouvertures . Dans le cas des focales fixes, ils sont souvent plus gros, plus lourds et assez chers. Bien qu'ils soient souvent les meilleurs choix pour les capteurs à très haute définition, leur pertinence est autrement remise en question . Certains Sigma Art d'il y a quelques années en sont les meilleurs exemples.

Ensuite vient ce que j'appellerai les distinctifs. Ils sont aussi fort bons techniquement mais sans sacrifier une signature qui les rend spécial. C'est le cas notamment des Zeiss. En fait, c'est comme si ces verres ne se contentaient pas de reproduire fidèlement la réalité. Ils ajoutent une touche qui la rend plus 'photogénique' ou vivante. 

Finalement viens ceux qui ont du caractère que je défini comme suit : un rendu agréable provenant d'imperfections techniques. Cela explique la popularité de certains modèles anciens conçus pour le film. Ça peut être un bokeh étrange qui est recherché ou encore une certaine douceur. C'est aussi parfois l'une des caractéristiques des distinctifs sans y mettre le prix . 

E -  Le style 

Nous nous retrouvons ici devant un cas typique de 'on ne peut pas tout avoir'.

Au départ, il faut déterminer ce qu'on attend d'un objectif à partir d'un continuum rendu vs utilité . Un objectif utilitaire n'est pas pris ici au sens péjoratif , il s'agit simplement de sa capacité à aller chercher l'image. 

On comprendra qu'on ne peut s'attendre à ce qu'un 24-200mm ait toutes les qualités optiques . De la même manière, on peut adorer le rendu d'une certaine focale fixe à foyer manuel mais ne pas parvenir à en trouver suffisamment d'applications concrètes pour la justifier.

Bien sûr, rien n'empêche d'avoir les 2 et de les alterner ou de trouver par exemple dans un objectif macro auto-focus le meilleur équilibre des 2 mondes. Il faut seulement bien saisir ce qu'on obtient par rapport à ce qu'on sacrifie. 

Vous entendrez parfois quelqu'un dire que 'le matériel photo n'a pas d'importance, un bon photographe peut faire une bonne image avec n'importe quoi'... pour constater que souvent les auteurs de ces mots utilisent du matériel dispendieux. Cet argument devrait donc être beaucoup plus nuancé . Parfois, il faut débourser pour arriver à ses fins , parfois non.

Il est raisonnable de penser qu'il vaut la peine de trouver des objectifs qui correspondent à notre approche mais en fait ce sont les objectifs qu'on utilise qui vont fortement influencer notre style . Il faut non seulement considérer ce que l'on fait déjà mais davantage nos aspirations. 

F - Le traitement 

À partir d'une optique suffisamment bonne, c'est aussi beaucoup et souvent surtout l'édition qui va insuffler un rendu à l'image finale, notamment par le contraste et l'intensité des hautes et basses lumières. 

Il faut aussi ajouter l'influence du support final qu'est l'écran ou en particulier le tirage.  

Mais, pour conclure, tout commence avec une optique et cette étape est d'autant plus cruciale que la plupart des images ne peuvent être reprises.

les objectifs partie 3 le rendu.docx