La pertinence des mégapixels partie 2

Par François Gauthier (La Prairie)

La pertinence des mégapixels partie 2

La course sans fin

Cette partie risque plus d'être controversée car elle comporte une bonne part d'opinion au-delà des faits .

A - historiquement

Au début du numérique , chaque augmentation de la résolution était saluée à juste titre comme une amélioration. Il faut dire qu'avec un seul mégapixel , les applications étaient pour le moins limitées . Au début de 2002 , 3.2 MP permettait enfin de pouvoir tirer en 8x10 puis la même année de mieux le faire avec 4 MP . Puis vint 5mp qui fut la limite pratique de la technologie d'alors basé sur un minuscule capteur CCD  de 1/2.5 pouce. 

Cela n'empêche pas les fabricants de continuer jusqu'à 8mp avant de retraiter à 7mp, un évènement unique dans cette course . Le problème était déjà dans le bruit excessif des images qui se voyait désormais même au plus bas iso. Du côté des détails, les premiers capteurs aps-c de 6mp des premiers réflex numériques battaient à plate couture les compacts les plus hauts de gamme de 8 MP , démontrant que les mégapixels par eux même n'étaient pas un gage de qualité accrue.

Le problème fut brièvement résolu par des petits capteurs plus grands de 1/1.7 pouce réservé aux modèles plus sérieux jusqu'à 10 MP avant que le passage du CCD ou CMOS permette au 'progrès' de reprendre.

B - hystériquement 

Les fabricants ont depuis longtemps mis de l'avant l'argument que plus c'est mieux pour justifier les nouveaux modèles . Les 2 aspects les plus chiffrables en étant les rafales et surtout les mégapixels (mp). 

C'est ainsi que la course a continué de plus belle, surtout chez les modèles à grands capteurs, soit temporairement 60 mp pour les pleins formats et 100 mp pour les moyens dont la surface est de 80% plus grande que les premiers. Toutefois, au moment d'écrire ces lignes (fin 2022) , Fuji lance son XT-5 avec rien de moins que 40 mégapixels , un grand bond en avant salué par les commentaires complaisants habituels... 

En affirmant que les utilisateurs 'réclamaient' cette 'progression' , il est sous-entendu qu'ils étaient insatisfaits auparavant et méritaient le même traitement que les adeptes du plein format. 

C - l'heure juste

J'ai brièvement mentionné certaines limites à utiliser des fichiers plus lourd . On peut raisonnablement aussi penser à d'autres aspects inévitables comme la vitesse de rafale limitée et le nombre d'images en mémoire tampon. 

Ensuite, le bruit . Je pense que la nouvelle limite pratique en iso du XT-5 sera moindre et aux environ de 1600 . A technologie comparable , il y aura inévitablement plus de 'grain' numérique . 

Ce qui vient changer la donne est l'adoption grandissante de la photographie 'computationnelle' qui a débuté dans les téléphones dit 'intelligents' . Dans ce cas , ce n'est pas tellement ce qui se fait dans le boîtier mais plutôt dans l'ordi par la suite. 

Il y a de plus en plus de logiciels qui se réclament de l'intelligence artificielle . Parmi les modules 'IA' , il y a celui de la réduction du bruit numérique, maintenant bien plus efficace. Bien sûr, il faut de la puissance informatique à revendre : beaucoup de mémoire RAM et surtout une carte graphique dédiée qui était surtout ciblée aux jeux 3D rapides auparavant. Il ne faut pas oublier le système de refroidissement pour éviter le bruit ambiant qu'un tel engin entraîne. 

L'argument ici est que ce niveau de complément informatique ne sera plus seulement utile mais carrément nécessaire à une utilisation normale de l'appareil photographique. Actuellement, seuls certains logiciels avancés et payants offrent l'IA (intelligence artificielle) . Pour le néophyte, c'est certainement un apprentissage considérable à ajouter à celui croissant des boîtiers eux-mêmes qu'ils se seront fait recommander parce que ``meilleurs''.  

D - les détails

Je vais maintenant m'attaquer à ce que je considère comme un mythe : plus de MP entraîne nécessairement plus d'information dans l'image. 

L'argument très largement accepté est que 'tous les bateaux montent avec la marée' . On veut dire par là que même un objectif modeste en résolution ira chercher plus de détails avec un capteur plus fin. Autrement dit, sans prétendre qu'on fournit pleinement la nouvelle capacité, on obtient quand même davantage. 

C'est un argument qui semble se tenir... jusqu'à un certain point. Il peut être instructif de consulter le site DxoMark . Sans être parfait ni complet , on y trouve une mesure de la quantité d'information des fichiers pour certaines combinaisons boîtier-objectif .  

Prenons d'abord un premier cas sur capteur aps-c : le Canon 50mm f1.8 dans sa version améliorée STM . L'objectif est une focale fixe bien née mais économique de 2015, donc d'époque numérique . Il fournira 8 mp sur un capteur de 12 MP , 13 sur 18 MP mais ne monte qu'à 14 sur 24 MP .    

Prenons ensuite un second exemple , cette fois sur plein cadre : le Sony Zeiss Sonnar 55mm f1.8 de 2013 . L'objectif est encore une focale fixe normale mais une référence reconnue pour son grand pouvoir résolvant . Il fournit un très impressionnant 40 MP sur un capteur de 42 et 54 MP sur un de 60 . On peut dire qu'il en bénéficie.

Par comparaison, l'abordable Sonny FE 50mm f1.8 de 2018 en tire respectivement 26 et 29 MP sur les mêmes capteurs. On observe donc ici le même phénomène qu'avec le Canon 50mm : un gain minime par rapport à celui du capteur. Bien qu'ils ne soient pas exceptionnels, ce sont quand même de bons verres et on pourrait penser qu'un objectif carrément faible ferait bien pire sans aucun gain mesurable. 

On pourrait multiplier les exemples car c'est vraiment du cas par cas. Il peut même y avoir un écart important avec 2 boitiers de même définition.  Toutefois on peut déjà en tirer certaines tendances que j'ai pu vérifier en partie par d'autres recherches ou observations  . 

1- La marée fait monter mais certains finissent par s'enfoncer . L'argument tient parfaitement la route quand on passe d'une résolution modérée. Mais il y a clairement un phénomène de rendement décroissant au-delà .

2- Les verres hauts de gamme flottent d'avantage . Les objectifs sont loin d'être égaux en pouvoir résolvant et certains ne brillent qu'avec des capteurs correspondant. Je veux dire par là que c'est leur principal intérêt .

3- C'est davantage une question de densité que de simplement considérer les mp. Il faut se rendre compte que les pleins cadres ont une surface 2.5 fois plus grande que les aps-c , le rapport 1.5 ou 1.6 étant linéaire (il ne s'applique qu'à une seule dimension comme la largeur). 

Ça veut dire qu'un 24mp aps-c a la même résolution que la partie centrale d'un 60mp plein format . Même s'il est un peu plus facile de conception ou encore qu'on utilise la partie centrale qui est la plus définie d'un verre couvrant le plein format, c'est déjà beaucoup et probablement déjà trop pour bien des objectifs existant. De plus , les objectifs professionnels y sont plus rares, le plein cadre étant pris plus au sérieux et des prix élevés considérés comme justifiables. 

4- Les objectifs modestes deviennent vite dépassés avec plus de résolution et les verres moyens n'apportent pas grand chose de plus. 

E- Le juste milieux des formats

D'abord, le M43 . Il a commencé à 12 mp avec des verres totalement conçus pour le numérique avec cette couverture réduite. Après un passage au 16 , il est maintenant à 20 mp depuis quelques années . Bien que certains peinent à suivre, les meilleurs verres y brillent . Je crois cependant que ce serait une erreur d'augmenter d'avantage , ce qui menacerait l'efficacité du système. 

Ensuite , le aps-c . L'équilibre a déjà été atteint quelque part entre 16 et 20 mp . Certaines améliorations récentes sont bien réelles et plusieurs modèles sont préférables non à cause des 24mp mais malgré eux. Au-delà, la différence pourrait s'avérer inutile et potentiellement nuisible, surtout avec des objectifs datant un peu.  

 Pour revenir au XT-5 , Fuji a de bon objectifs mais de là à fournir la même densité qu'un capteur de 100mp en plein cadre... Ce qu'il faut considérer, c'est que la monture peut être utilisée pour adapter des anciens objectifs pour film ou des verres économiques de marque Samyang , Meike, Peargear... surtout pour économiser. Ils ne sont pas optimisés pour une résolution extrême ni d'ailleurs la première génération de la marque . Poursuivre dans la voie du XT-5 implique de soit reconcevoir les optiques ou alors de succomber au marketing sans fondement . Comme je ne doute pas du succès commercial de cet appareil...    

Puis, le plein format. 24 MP est une belle résolution pratique qui permet aussi d'utiliser 'pleinement' des verres conçus à l'époque du film avec un rendu différent et souvent apprécié mais la grande surface permet aussi de densifier et d'utiliser des objectifs plus modernes . Il est difficile de cerner une limite pratique mais la zone actuelle de 42 à 60 MP semble raisonnable à la condition de se concentrer sur les optiques qui y sont les mieux adaptées.  

Finalement, le format dit moyen, surtout représenté par les Fuji GFX. Ici le 50mp n'était qu'une étape et le système est clairement conçu pour 100mp mais probablement pas plus .   

F- La preuve par l'exemple

La plupart d'entre nous vérifie la netteté et le niveau de détail de l'image en l'observant sur un écran d'ordinateur . La plupart du temps , on utilise la commande 'voir en dimension originale' . Comme la résolution de l'écran est très inférieure à celle de l'image obtenue, on n'en voit alors qu'une petite partie.  

Si vous avez déjà changé de boîtier pour un plus récent avec d'avantage de résolution , vous avez probablement été déçu de constater un recul en ces termes, notamment avec les mêmes objectifs. 

On vous aura probablement expliqué que c'est parce que vous observez une zone plus petite de l'image, qu'en fait vous grossissez davantage et que ces défauts n'apparaîtront pas à l'œil en observation normale...

C'est vrai, sauf que ... en même temps, n'est-ce pas une preuve que le gain attendu n'y est pas, du moins pas complètement ? 

Pour en être certain, vous pouvez refaire la comparaison, cette fois avec une plus grande stabilité et un peu plus de profondeur de champs pour isoler le phénomène : probablement mieux mais ce n'est peut-être pas encore ça . Au moins vous avez découvert que c'était plus exigeant. 

J'ai récemment vu une vidéo qui 'zoome' dans des images test pour comparer les Fuji XT-4 et XT-5 en soulignant les détails améliorés du second . A mon avis , ce n'est pas concluant à cause des effets trompeurs du visionnement (voir l'article Visionner ses images). Ce que j'aimerais voir : une édition identique d'une toute petite partie de l'image au environ de 1080 pixels pour le XT-4 au centre puis au bord pour 2 objectifs natifs typiques : le 35 mm f1.4 optimisé pour le rendu et le 50 mm f2 optimisé pour la netteté ... 

G- Conclusion

Au lieu de faire de meilleurs appareils avec la même définition qui est déjà suffisante au départ, les fabricants se relancent constamment dans une course aux mégapixels avec la bénédiction des grands prêtres amateurs du net .

Il en découle que pour obtenir une nouvelle caractéristique parfois souhaitable, il faut aussi faire avec de l'inutile... 

... mais une menace pointe à l'horizon. En fait elle est déjà là : la computalisation. La même technologie IA qui permet notamment de réduire le bruit permet aussi d'augmenter la résolution de l'image .

Comme vu dans l'article précédent, l'interpolation existe depuis des lustres avec des succès limités et mitigés. Une étape importante a été franchie il y a bien des années avec l'approche fractale du fabricant de logiciel OnOne . Il existe toujours sous le nom Perfect Resize mais il y a maintenant de la concurrence.

L'industrie tente de nous vendre plus au niveau du boîtier en même temps qu'elle nous promet de récupérer des images qui ont moins . Comme on peut maintenant faire mieux avec moins, suis-je le seul à voir une collision à venir ?   

Il faut se rappeler que le terme 'haute résolution' est relatif . Il y a quelques années, 24 mp faisait rêver et semblait utopique. Il ne faut pas oublier non plus qu'il y a un héritage de l'argentique profitable au numérique que la trajectoire actuelle va marginaliser. 


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